La dette publique du Bénin, les notations financières, les installations marchandes, le social… Ganiou Soglo économiste- financier et ancien ministre aborde dans cet entretien des sujets économiques d’importance pour le Bénin. Lisez plutôt
Monsieur Galiou Soglo, on vous a vu très actif ces derniers jours sur des sujets tels la dette publique au Bénin. Qu’est ce qui justifie votre activisme, vos inquiétudes ?
Merci Monsieur le journaliste. Je suis un homme politique, un passionné du Bénin. Et quand vous avez le sens du devoir envers votre pays, quand vous vivez le quotidien de la plèbe, quand vous suivez la gouvernance décadente actuelle, vous devez alerter ; vous devez faire des propositions. C’est ce qui justifie mon activisme. Le Bénin est ma cause.
Pour revenir à la dette publique, vous n’êtes pas sans savoir qu’elle inquiète en ce moment. Selon les données édulcorées du ministère de l’Économie et des finances, le Bénin fait face à un risque de surendettement… modéré. L’encours de la dette publique au Bénin s’établit à 6508,52 milliards FCFA à fin décembre 2023 contre 2 101,17 milliards FCFA en mars 2016.
Le pays affiche actuellement un taux d’endettement de 54,91%. On est plus loin de la norme communautaire dans l’UEMOA qui est fixée à 70% alors que nous n’avons aucune ressource minière ou véritable produit d’exportation qui puisse soutenir notre endettement et le rendre viable sur le long terme.
Il se dégage aisément que la gouvernance de Patrice Talon a triplé l’encours de la dette publique au Bénin. Cette stratégie est justifiée par l’idée que la dette est un instrument de développement et que l’on ne prête qu’aux riches. Cependant, il est important de noter que la dette non maitrisée peut entrainer la faillite de l’Etat et un naufrage générationnel. L’exemple de l’Argentine aujourd’hui est patent.
Le Bénin à travers les emprunts obligataires, eurobonds et accords de financements des Partenaires Techniques et Financiers (PTF) se retrouve dans le top 3 des pays les plus endettés de l’UEMOA après la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Et pourtant, d’autres pays de la sous région ont des potentiels qui fouettent leurs agrégats macroéconomiques et les rendent plus aptes à prendre de la dette plus que le Bénin. Le Niger avec l’uranium et dernièrement son pétrole, le Mali avec l’or, le diamant et le lithium sont autant d’exemples.
Le Bénin dépense plus pour le service de la dette que pour la santé. Il est plus que nécessaire de trouver des solutions innovantes sur la gestion de la dette du Bénin, avec des actions proactives à mener pour sécuriser le financement de son développement.
C’est cet état de chose qui justifie mes inquiétudes et mes sorties répétées qui n’entrent pas dans l’activisme politicien qu’on nourrit habituellement.
Le gouvernement met en service de nouveaux marchés construits et annonce la destruction à Dankpota…Ne pensez-vous pas que c’est l’expression d’un dynamisme économique dans le pays ?
S’il y a un tableau sur lequel la gouvernance actuelle mérite des dragées, c’est celui des grands travaux. Fort d’une haute opinion de sa personne, Patrice Talon détruit tout, pour tout reconstruire comme si le Bénin n’avait pas existé avant 2016. Il est indéniable que l’actuel régime se distingue par ses infrastructures dispendieuses.
Je suis désolé. Le Bénin, Dahomey de nos aïeux existait, existe et existera. Et il est du devoir de chaque compatriote de protéger chaque pan de l’histoire.
Au-delà de sa position du plus grand marché à ciel ouvert de l’Afrique de l’Ouest, le marché Dantokpa est aujourd’hui un musée, un patrimoine mémoriel à sauvegarder et non à détruire. C’est une fierté quand de nos amis, de passage au Bénin, demandent à visiter Dantokpa à cause de son originalité. Même dans les grandes villes du monde, on rencontre des infrastructures millénaires qui servent encore de nos jours et rapportent de la plus- value, surtout quand on veut faire du tourisme un levier de développement.
Ce point de vente au détail couvrant plus de 20 hectares et créée depuis 1963 est aujourd’hui un fleuron de l’économie nationale et ouest africaine. Ce marché draine près 700.000 à 1 million de personnes par jour. C ’est un baromètre de l’économie béninoise et ouest africaine. Comment peut- on détruit un pourvoyeur de ressources au motif qu’il dérange la beauté d’une ville ? C’est l’assainir et la rendre efficiente qu’indique la raison.
Construire de nouveaux marchés, que dis-je, des galeries marchandes, qui pour le moment ne cadrent pas avec l’esprit des marchés africains, n’est pas condamnable.
Mais ce n’est pas une raison pour décider de la destruction de Dantokpa. Sans être un oiseau de mauvaise augure, dans 10 ans, ce n’est pas sûr que les nouvelles installations marchandes puissent brasser de l’argent comme Dantokpa. Car vous constatez avec moi que le pouvoir en place continue à policer le mode opératoire : on continue les atermoiements autour des heures d’ouverture et de fermeture ; les loyers… D’ailleurs un seul site est mis en service. Pour les autres, on attend encore. Dans d’autres villes telles que Porto Novo, les travaux ne sont pas encore achevés. Le cas du marché Ouando où le chantier évolue à tâtons est là, têtu. Pendant ce temps, l’activité économique doit continuer. La mise en service de nouvelles installations marchandes n’est pas synonyme d’un regain de l’activité économique.
En fait, l’activité de ces marchands avait été détruite depuis 2019 où ils ont été déplacés pour lancer ces constructions. Vous n’êtes pas sans savoir que les sites précaires pour les accueillir n’offrent pas toutes les commodités et de ce fait, beaucoup de marchands les ont abandonné. Allez à Dowa à Porto Novo où les usagers du marché Ouando ont été installés, vous verrez que les installations sont vides.
Et Africains que nous sommes, nous sommes tous conscients qu’un marché a une âme qu’il faut asseoir. D’où l’originalité des marchés africains.
A titre illustratif, Dantokpa signifie en langue fon « sur les bords de la lagune de Dan ». Dan est, selon les croyances animistes béninoises, une divinité représentée par le serpent, dieu de la prospérité et de l’abondance. Un autel dédié à Dan et contenant un fétiche se trouve encore au sein du marché.
Vous estimez que le pays est en crise économique malgré les embellies qu’affichent les notations financières renchéries par les appréciations des institutions de Bretton Woods ?
Le Bénin se complait du ballet des agences de notations financières dont les conclusions sont servies aux investisseurs pour se gaver de dettes. C’est malheureusement l’option du pouvoir actuel. Mais elle ne fait pas recette.
Le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP), a vivement critiqué, dans son récent rapport sur la gouvernance en Afrique, publié le 12 juillet 2023, les agences de notation internationales pour leur approche insuffisamment précise lors de l’évaluation de la solvabilité des émetteurs africains. Les principales agences de notation, Fitch ratings, Standard and Poor’s (S&P) et Moody’s… basées en Europe, aux États-Unis, se sont retrouvées au centre de la controverse en raison de leur manque de données fiables.
Le rapport du MAEP souligne que les agences de notation internationales se fient à des données partielles et recueillies à distance pour évaluer la solvabilité des émetteurs africains. Leurs méthodes incluent des « visites de courte durée », des discussions virtuelles et l’utilisation d’informations accessibles au public, ce qui les amène à omettre des données cruciales qui pourraient être obtenues sur place lors des examens de crédit. De ce qui précède vous comprenez que la crédibilité des agences de notations est mise en cause.
Pour être plus factuel, vous ne pouvez pas avoir un taux de croissance de 6%, être un pays à revenu intermédiaire et posséder un Indice de Développement Humain aussi faible, ce n’est pas cohérent.
Combien d’intellectuels béninois comprennent ces notations : ‘’B+’’ , ‘’BB avec perspective stable’’ et autres pour lesquelles ces agences sont chères payées ?
Economiste-financier que vous êtes, quels sont les leviers sur lesquels, il faut actionner pour l’amorce d’un réel développement du Bénin ?
Nous devons assurer une croissance forte et viable du Bénin, en mettant l’accent sur le capital humain tout en diversifiant nos exportations et en développant notre industrie. Il faut renforcer l’intégration régionale en allant vers un marché commun qui permettra d’harmoniser nos politiques pour une plus grande résilience aux changements climatiques et pour régler la question de la dette.
Il ne sert à rien d’avoir un Etat riche et des citoyens pauvres. C’est pourquoi, des ajustements doivent être faits pour une décélération de l’inflation et une augmentation du pouvoir d’achat du Béninois. La cherté de la vie au Bénin n’est plus à démonter.
La forte imposition sur le salaire des travailleurs alors que les salaires politiques prennent du volume, est une injustice sociale
En somme, quelle est votre appréciation de la gouvernance actuelle ?
En mai 2024, nous étions tous en émoi avec l’annonce de la mort par naufrage de Béninois candidats à l’émigration clandestine vers l’Europe. Par un vol spécial humanitaire, 173 migrants béninois (14 familles) sont rentrés de la Tunisie au Bénin. C’est une première fois qu’un tel drame s’enregistre dans notre pays. Paix aux âmes des illustres disparus qui par désespoir fuyaient l’apocalypse quotidien qu’ils vivaient au Bénin. C’est malheureusement ce à quoi nous a réduit la gouvernance actuelle. Il faut investir dans le social, c’est-à-dire dans l’Homme.
Source www.koriactu.com
Site lafriqueenmarche du 22 juillet 2024 No 700