Nous poursuivons ce jour avec la 2 ème partie de l’interview réalisée avec Galion Soglo. Lisez ci-dessous son décryptage relatif à la crise entre le Niger et le Bénin.
J’aborde très vite le dossier suivant de la crise bénino-nigérienne. Depuis le 26 juillet, il y a eu coup d’État au Niger, vous le savez très bien. Et depuis ce jour, le Bénin est presque en crise. Crise diplomatique, crise économique, crise stratégique, crise alimentaire, avec son voisin du Nord. Et vous savez, le dernier développement de l’actualité, c’est l’arrestation, ici à Cotonou, il y a deux jours, de cinq officiels nigériens. Quelle est la lecture globale que vous faites de cette crise qui dure depuis plus de huit mois et qui n’a pas l’air de finir ?
Je vous remercie, Marcel. Je suis attristé, comme bon nombre de nos concitoyens, par cette situation que nous vivons avec un pays frère, le Niger. C’est à la fois déplorable, lamentable. Je pense qu’on aurait pu faire économie de tout ça, laisser de côté les ergots et mettre la balle à terre.
C’est ce que je pense. Mais je dois aussi vous dire, Marcel, que je m’interroge. Je m’interroge sur, en fait, cette crise.
C’est à croire que quand on est prêt à la résoudre, on remet de l’huile sur le feu. Vous savez, je ne veux pas jouer à l’apprenti sorcier, parce que ce n’est pas mon rôle, mais rappelez-vous que dans mon livre « 17 minutes pour vivre », j’avais indiqué en 2022 que le prochain président de la Cour constitutionnelle allait être Monsieur Dorothée Sossa. A l’époque, on m’avait pris un peu pour un fou.
Aujourd’hui, on sait ce qu’il en est. Il y a quelques semaines de cela, j’ai eu à dire que je pensais, dans mon fort intérieur, que le président Talon allait tout faire pour se représenter en 2026.
Est-ce que c’est pour cela qu’on envenime une situation de crise avec notre pays frère et voisin, le Niger, pour qu’on puisse nous amener dans les prochaines semaines, au prochain mois, à un état d’urgence, voté par les députés, et qui accorderait une prolongation de mandat au président Talon ? Je m’interroge. Je m’interroge. Je m’interroge sincèrement sur ce qui pousse notre gouvernement à adopter une telle, je dirais, prise de position.
Ce n’est pas moi qui l’ai dit, rappelez-vous, le président Adrien Houngbedji nous avait rappelé il y a quelques années de cela, que si le PRD n’était pas prêt à accompagner le président ou le candidat de l’époque, Patrice Talon, c’est parce qu’il ne voulait pas à sa tête de notre pays un commerçant.
Si c’est le cas, il y a des milliards qui devraient, des millions de dollars qui devraient être engrangés par ce pipeline. Où passe le pétrole nigérien à travers notre pays, non pas dans les caisses de l’État ?
Alors si ceux-là mêmes, qui ont mis notre pays en coupe réglée, sont prêts à abandonner une partie de ses gains, il faut se poser la question de savoir quel est le motif. Quelle est la motivation qui sous-tend tout ça ?
C’est pour ça que je m’interroge en haut de voix devant vous, sans en avoir la preuve, mais j’espère que je me trompe, et qu’on ne nous sortira pas des fagots de bois, de cet état d’urgence.
Mais Monsieur Marcel, quand il y a quelques semaines, je disais que le président Talon se préparait de nouveau à être candidat en 2026. Il y a quelques jours, on connaît comment ça se passe.
On paie quelques personnes pour vous dire que la voie n’est pas terminée, il faut que le président Talon continue pour un troisième mandat. Vous savez, ce sont des pratiques qui sont éculées, que nous connaissons tous. Donc la machine est en marche.
Mais je trouve que, pour nous Béninois, on est affligés de voir ce qui se passe avec notre pays frère, le Niger. On va stigmatiser maintenant les Nigériens qui vivent en paix dans notre pays depuis des décennies, et demain, ce qu’on veut, c’est qu’on puisse attaquer nos ressortissants au Niger ? Je ne sais pas, je me pose des questions. Je n’ai pas tous les éléments, mais je me pose des questions.
Je pense qu’on aurait pu faire l’économie de cette arrestation de cinq responsables nigériens de la société WAPCO, si je ne me trompe. Après, quand j’entends le procureur de la CRIET nous dire que dans ces cinq personnes, il y a deux personnes du CNSP, le CNSP n’est-il pas au pouvoir aujourd’hui au Niger ? C’est comme s’ils font partie du gouvernement nigérien. Comme nous aussi, nous avons un gouvernement avec des responsables politiques.
Donc, nous dire qu’il y a deux personnes qui sont du CNSP, pour moi, c’est un pléonasme. Puisqu’ils sont au pouvoir au Niger, ils ont le droit de venir s’enquérir, de savoir comment se passe l’acheminement de leur pétrole sur notre sol. Donc, je ne sais pas, je me pose des questions.
Voilà, je ne sais pas si j’ai répondu à votre question.
Monsieur le ministre, peut-on reprocher au président Talon de mettre en phase la réouverture des frontières et la question du pétrole ?
Écoutez, là encore, je ne veux pas être un apprenti sorcier, mais mettez-vous à la place des responsables de la sous-région qui entendent et écoutent notre Président.
Affirmez un jour qu’il est là pour un mandat, que, nonobstant ce que les députés et la Cour constitutionnelle vont décider, lui partira et qu’on le voit encore en place?
De la même façon, nous avons, comme je l’ai dit auparavant, une histoire commune avec le Niger, de par notre port, mais aussi de par les liens qui unissent nos familles.
Nous avons un président qui, au sortir de cette conférence des chefs d’État à Abuja, qui a eu des mots hostiles contre le Niger, le peuple nigérien. Quand lui-même, on peut aussi le dire, lui s’est maintenu au pouvoir en 2021 dans les conditions que l’on sait.
Donc, quand vous affirmez qu’il faut revenir à l’ordre constitutionnel, les gens vous regardent et se disent : « Mais la personne qui nous dit ça là, elle-même est-elle sans reproche ? ». Je crois que dès le moment où le Président Talon a tenu de tels propos, ça a amené la confiance entre nos deux États à se déliter.
Dans le même temps, on a vu le président Faure Gnassingbé du Togo, qui a fait économie, je dirais bien, quand je dis économie, je dirais même, qui n’a absolument rien dit au sortir de cette conférence des chefs d’État, et qui lui-même s’est trouvé l’un des médiateurs auprès des jeunes leaders, que ce soit au Burkina Faso, au Mali et au Niger.
Donc comprenez qu’aujourd’hui, mais oui, mettez-vous à la place d’un responsable ministériel, peuvent-ils encore croire en la parole du Président Talon ? C’est de ça dont il s’agit.
Quand la parole d’un chef d’État, à la longue, ne vaut plus rien, parce que quand tu dis ça et son contraire, pourquoi voulez-vous que les gens vous croient encore ? C’est de ça dont il s’agit. Je préfère alors, à ce moment-là, le mutisme du Président Biya, qui ne dit rien, on ne sait pas ce qu’il pense, qu’au sortir de notre président de la République, qui affirme des choses et qui fait totalement son contraire. Donc mettez-vous à la place de ces personnes, aujourd’hui, si on vous faisait la même chose, est-ce que vous accorderiez un minimum de confiance ?
Et là, avec cette arrestation des cinq responsables nigériens, on met encore de l’huile sur le feu.
Je pense qu’il est temps qu’on puisse retrouver la voie de la raison. Je pense qu’à ce propos, le président Soglo, ce n’est pas parce que c’est mon père, mais c’est parce que c’est un sage, avec l’âge qu’il a, il a fait une déclaration où, rappelez-vous, il se disait prêt, puisqu’il connaît la plupart des autorités nigériennes, il connaît le présent talent, il voulait faire l’économie à notre peuple, de tous ses soubresauts, personne ne l’a écouté, il était prêt à aller en tant que médiateur, on ne peut pas dire qu’il est juge et partie, rien du tout.
J’espère que notre président va entendre son discours et peut-être l’appeler pour lui dire d’aller voir les responsables nigériens et voir comment on peut essayer de mettre la balle à terre par rapport à une situation qui peut s’envenimer.
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Propos recueillis par Marcel ZOUMÈNOU et Titus FOLLY
Site L’Afrique en marche du 11 juin 2024 No 668