Avec la guerre au Liban depuis le 23 septembre dernier, les Africains de l’ouest doivent-ils être inquiets pour leurs ventres quand on sait la place prépondérante des commerçants libanais dans le secteur alimentaire?
« Le Liban n’est pas une usine du monde. Le Liban aussi dépend d’importations qui proviennent principalement de Chine (13,8 %), de Turquie (12,4 %), de Grèce (9,8 %), d’Italie (5,8 %) et des États-Unis (5,0 %)…», déclare Ebenezer Chiju, expert en commerce international.
Il dit encore : « Les Africains de l’ouest n’ont donc pas de quoi être inquiets pour leurs approvisionnements. Ni le riz, le sucre, les produits congelés, les produits laitiers ne proviennent du Liban…».
Cependant, reconnaissons que les Africains de l’ouest ont eu des sueurs froides à la mort du chef du mouvement « Hezbollah », Hassan Nasrallah, le 27 septembre dernier.
…SUEURS FROIDES
«Je suis là depuis 9 h. À 9 h 10, comme les portes de la boutique n’étaient toujours pas ouvertes, je suis allée m’asseoir dans mon véhicule. Il est 9 h 35 et les portes de la boutique ne sont pas toujours ouvertes…», dit Stefanie, une fonctionnaire internationale qui réside à Marcory, l’un des grands quartiers de prédilection des Libanais d’Abidjan.
Elle était à la boutique le samedi 28 septembre dernier. Stéphanie donne les précisions relatives à sa présence : « C’est ici que j’achète le riz, l’huile, le sucre et autres produits de 1ère nécessité…». Stéfanie après sa déclaration, jette des coups d’oeil futiles sur sur son iPhone pour voir l’heure.
Après Stéfanie, le rang des clients qui attendent s’allonge au fur et à mesure. Jusqu’à 11 h, la boutique n’est toujours pas ouverte.
Les questions fusent, mais les vigiles présents ne sont pas en mesure d’expliquer les tenants et aboutissants de cette situation.
Ousmane, un autre client vient d’arriver et sort de son véhicule. Il fait aussi le constat que la boutique n’est pas ouverte. Quelques trois minutes après son arrivée, et ayant pris au vol les commentaires en conjecture, il fait une analyse d’universitaire : « Je pense qu’on doit rentrer. Ils sont en deuil. La majorité des commerçants libanais d’Abidjan sont en deuil. Leur chef Hassan Nasrallah a été assassiné hier par Israël…».
Tout le monde le regarde médusé par ces propos. Les clients présents n’y comprennent rien. « Comment quelqu’un décède au Liban et on ferme boutique ici? », insiste un autre client.
Ousmane au parfum de l’actualité, répète encore : « Ils ne vont pas ouvrir. Ils sont en deuil. Ils sont des chiites du Liban et leur chef suprême, Hassan Nasrallah, a été tué hier 27 septembre lors d’un bombardement israélien. Même si vous allez dans d’autres boutiques de Libanais à Abidjan, ce sera la même situation…».
La foule attend quelques minutes avant de se disperser. Au finish, Ousmane a raison. Le chef du « Hezbollah », a été effectivement assassiné. Et les commerçants libanais ont baissé rideau en signe de deuil.
Le constat est là. De nombreux commerçants libanais de Marcory et autres quartiers d’Abidjan et de Bouaké, en signe de deuil, ont baissé rideau.
« En Côte d’Ivoire, les commerçants libanais constituent la plus grande communauté commerciale. 80 % de cette communauté libanaise de Côte d’Ivoire vit à Abidjan où ils vendent riz, boissons, ‘huiles, et autres produits de première nécessité…», analyse encore Ebenezer Chiju, expert en commerce international.
Il raconte : « Abidjan est appelée « capitale » libanaise de la sous-région. Dans la capitale ivoirienne, les commerçants libanais sont notamment concentrés dans la commune de Marcory, surnommé « le petit Beyrouth ». Les plus fortunés habitent le quartier Riviera à Cocody dans des villas luxueuses.».
Outre Abidjan, de nombreuses autres villes africaines, ce 28 septembre 2024, ont connu le même phénomène de « rideau baissé » de la part de nombreux commerçants libanais. Des témoignages à Lagos, Abuja, Dakar, Ouaga, Bamako, Niamey, Cotonou…où les commerçants libanais ont également pion sur rue sur les secteurs riz, boissons, ‘huiles, sucres…sont concordants.
« Et quand on parle de communauté commerciale libanaise, tous les spécialistes du commerce intra-urbain évoquent l’omniprésence du Groupe « Chagoury » avec sa figure emblématique Gilbert Chagoury et toute sa famille avec leur puissance financière estimée à des milliards de dollars.», argumente Latif Hossam, expert en export international.
« Le cas de Dakar, le samedi 28 septembre dernier a été également remarquable. Ce jour-là, les commerçants libanais qui détiennent le monopole dans le secteur alimentaire n’ont pas ouvert…», martèle Nabil Djibril, commerçant à Dakar.
Selon lui : « À Dakar, de part et d’autre de l’avenue Gambetta et de la rue Galandou-Diouf, entre les rues Tolbiac, Escarfait, etc…où grouille l’univers du commerce libanais, grossistes et demi-grossistes, qui possèdent près de 200 magasins et entrepôts, entre le port et le marché Kermel, ont baissé rideau en guise de deuil le samedi 28 septembre dernier au lendemain de la mort de Hassan Nasrallah.», précise encore Nabil Djibril, commerçant à Dakar.
À Cotonou, dans la zone commerciale dite « Tokpa-Hoho », on a assisté au même phénomène. « Les grands magasins et entrepôts des commerçants libanais qui ont sous leur contrôle, riz, pâtes alimentaires, eaux minérales, boissons, farine de blé, huiles d’olives et autres produits de 1ère nécessité, n’étaient pas accessibles…», rappelle Mariam Tadjou, cliente de magasins libanais rencontrée à Cotonou le lendemain de la journée de deuil au lendemain de la mort de Hassan Nasrallah.
DE COURTE DURÉE…
À Abidjan, Dakar, Lagos, et autres, le phénomène de rideau baissé n’a duré que 72 h. «Le lundi 30 septembre déjà, la situation est redevenue normale avec la réouverture des magasins.», déclare encore Latif Hossam, expert en export international.
«Cependant, même si le moral des commerçants libanais est affecté par les nouvelles de guerre dans leur pays, ce conflit n’affectera pas ces secteurs, car le Liban n’est qu’un intermédiaire dans le négoce international…», dit-il encore.
Pour Latif Hossam : « Cette raison est due au fait que le Liban n’est pas un acteur majeur de production comme la Chine, l’Inde, la Turquie..Le Liban n’est qu’un intermédiaire dans le négoce mondial.».
De part leur fortune, les Libanais ratissent large en Chine et dans le reste du monde. « Cependant, quand on dit que le Liban n’est pas une usine du monde, les statistiques parlent d’elles-mêmes. Le Liban aussi dépend d’importations qui proviennent principalement de Chine (13,8 %), de Turquie (12,4 %), de Grèce (9,8 %), d’Italie (5,8 %) et des États-Unis (5,0 %)…», déclare encore Ebenezer Chiju, expert en commerce international.
« Prenons le cas du riz. On pouvait s’attendre à une flambée de prix si par exemple le riz provenait des rizières au Liban. Ce qui n’est pas le cas.Le riz provient de Vietnam, de Thaïlande et surtout de l’Inde…», déclare encore Ebenezer Chiju, expert en commerce international.
«Et même en cas de guerre totale entre le « Hezbollah » et Israël au Liban, il n’y aura pas de craintes pour les ventres, des Africains de l’ouest, car d’autres communautés étrangères comme grecque, indo-pakistanaise, nigériane…sont prêtes pour prendre la relève.», martèle l’expert Ebenezer Chiju.
Olga HOUÊVI avec la collaboration de Frédéric TOURÉ à Abidjan, Blanchard LAWSON à Dakar et Wilfried GBÊGAN à Lagos.
Site lafriqueenmarche du 20 octobre 2024 No 750