Entre deux mots, on voit sur le visage arrondi de Maty, une Congolaise de RDC, l’expression de la détresse. Il suffit de bien voir les traces de lames encore visibles pour comprendre que la douleur a été manifeste. Avec la pluie quotidienne de bombes israéliennes sur Beyrouth, la capitale libanaise, elle vit depuis fin septembre dernier dans un garage abandonné. Comme Maty, beaucoup de ressortissantes d’Afrique de l’ouest à l’instar de Aïcha, une Malienne et Cica, une Béninoise, s’y réfugient également. Depuis le mardi 26 novembre dernier, L’espoir est là du fait du cessez-le-feu de deux mois entre l’Israël et le Liban. Cependant, si elles jubilent, elles ne savent pas encore à quel saint se vouer entre rester dans les camps, repartir leurs patrons cyniques ou rentrer au pays. Elles témoignent.
«Je ne sais quoi faire entre rester ici en tant que réfugiée ou rentrer chez moi au Congo.». À peine cette phrase de Maty, en pyjama (le haut et le bas) de couleur grise, finie sa pensée que déjà les sanglots recommencent. Elle est parmi la centaine de pensionnaires d’un garage abandonné à Medawar à Beyrouth.
À l’heure de cette rencontre, l’atmosphère paraît calme. Il est 16 h à Beyrouth. On est le 27 novembre 2024, donc au lendemain du cessez-le-feu. Le calme du jour de la rencontre avec ces trois ressortissantes africaines contraste avec l’enfer de la veille. Maty le rappelle d’ailleurs : « Le mardi 26 novembre jusqu’à 20 h, le ciel de Beyrouth a été soumis aux bruits d’avions de chasse et de drones israéliens. Seigneur! Ça bombardait seulement. Mon coeur tenait à peine dans ma poitrine…».
Au comble du témoignage de Maty, Cica, la Beninoise baisse la tête. Elle était comme dans une position de méditation. Un long silence règne.
…AU COMBLE DE LA DÉTRESSE
Aïcha, la Malienne rompt subitement le silence : « Nous avons toutes un point commun. Nous avons été des employées de maison. Aujourd’hui, on se retrouve à la rue à cause de la guerre Israël et Liban…».
Maty, au parfum de l’actualité, n’est pas d’accord. Elle rectifie Aïcha et donne avec précision le nom des belligérants. « Non et Non. Ce n’est pas la guerre Israël/Liban. C’est la guerre entre Israël et Mouvement « Hezbollah »…».
Aïcha, dans un boubou bleu sur un pantalon moulant noir, la toise et poursuit : « Si on se retrouve ici, c’est à cause de cette guerre. Mieux, nous n’avons plus nos passeports. Ils sont avec nos patronnes en fuite à Beyrouth ou hors de la ville ou même à l’extérieur du pays. Celles-ci sont parties sans adresse à cause des bombes israéliennes qui tombaient sur les quartiers de Beyrouth…».
Maty dans son pyjama taché par endroit au niveau des genoux, reprend la parole : «J’étais employée de maison à Dahieh au sud de Beyrouth. C’est le cas de la majorité des ressortissantes africaines. Mes deux collègues ici (Aïcha et Cica) et moi, étions dans des appartements voisins à Dahieh…», précise-t-elle encore.
Maty est interrompue par Cica avec ses traits fins et dans une sorte de caftan. Cica reprend son témoignage et détaille cette nuit d’horreur du 27 septembre 2024, jour de l’assassinat de Hassan Nasrallah, le patron du « Hezbollah ». « Cette nuit-là, c’était l’horreur. Les avions israéliens ont utilisé des bombes qui peuvent soulever une maison de six étages…».
Selon elle, malgré la mort du chef Hassan Nasrallah vers 17 h, les bombes israéliennes étaient déversées sur Dahieh, le quartier de son QG…».
Aïcha somme Cica de ne pas oublier de dire la méchanceté de leurs patronnes. « Pas de problème.», répond Cica qui continue
« Avec les bombardements du 27 septembre dernier, certaines patronnes sont parties en fuite pour trouver refuge ailleurs. En partant, elles ont cyniquement décidé de nous mettre à la porte et de partir sans nous.», fait encore savoir Cica.
EN FUITE À LEUR TOUR…
Maty vient avec une vidéo pour distraire ses collègues. Cica intéressée regarde la vidéo relative à l’un des derniers bombardements de la part d’Israël.
Aïcha s’écarte d’elles et décrit leur fuite : « On avait nos baluchons sur la tête et nos sacs de fortune en mains pour fuir. On etait nombreuses, nous employées de maison désespérées cette nuit du vendredi 27 septembre 2024 dans les rues très défoncées par les bombes israéliennes. La majorité des fuyardes a décidé de prendre la direction du centre-ville
de Beyrouth pour être à l’abri des bombes israéliennes…».
Aïcha poursuit son témoignage au moment où un vent de fraîcheur traverse les lieux.
Aïcha rappelle qu’elle était dans sa 3ème année au Liban. « Pour avoir la vie sauve en direction de Beyrouth, chacune de nous a su étaler ses talents d’agiles sprinters prêtes à établir un nouveau record mondial de 100 mètres…».
En route pour Beyrouth, Aïcha rappelle que c’était en compagnie d’un groupe de marcheurs qui fuyait aussi les bombardements.
Maty surgit, ravit la vedette à sa collègue qui avait la parole et dit : « En direction de Beyrouth, on fournissait d’énormes efforts pour ne pas être distancées par les autres. On enjambait gravas et autres dans les rues, du fait de l’effondrement de certaines maisons…».
…AUTOUR DES QUESTIONS
« Avec ce groupe, on a marché jusqu’au petit matin. Des ambulances avec allure nous dépassaient. Certainement, ces ambulances avaient des blessés graves et des corps inertes. Au cours de notre fuite, on a vu des maisons bombardées. Les sapeurs pompiers essayaient de dégager les blessés. Heureusement, il y en avait de légers et surtout des miraculeux sortis des décombres par la défense civile.C’était le sauve-qui-peut. », tisse historiquement encore Maty.
Cica fait ressortir leur arrivée à Beyrouth. « À l’arrêt du groupe, on a marqué un arrêt devant ce garage abandonné. Il y avait un monde fou. On était loin de s’imaginer qu’on y passera deux mois. Nous sommes ici depuis la nuit du 27 septembre dernier…».
Aïcha se rappelle des bruits des uns et des autres à la recherche de quoi manger sans oublier les cris de détresse d’enfants consolés par des personnes âgées.
«Les deux premiers jours ont été difficiles, car comme de nombreuses personnes, elles ont dormi à même le sol. Le troisième jour, la Croix-Rouge a fait des distributions de couverture, de conserves et d’eaux minérales. Pendant deux mois ici, sans moyens financiers, ce fut la galère. Avec le cessez-le-feu, Allah est grand. On pourra partir…», déclare la Malienne.
Cica, après ces détails relatifs à leur vie comme dans un camp de réfugiée, remet les questions essentielles sur la table. Elle poursuit : « Comment sortir de cet engrenage libanais ? Qu’allons devenir à Beyrouth vivantes ou mortes? ».
Alors que Cica était perdue dans ces réflexions, Maty a clairement avoué : « Même si j’avais mon passeport, je ne veux pas rentrer. Que vais-je faire encore au village chez moi? Ma prière, c’est que la guerre finisse définitivement et que la paix revienne même au-delà des deux mois du cessez-le-feu…».
Cica évoque l’nitiative du gouvernement du Bénin avec le communiqué en date du 8 octobre dernier de la part du ministère des Affaires étrangères pour faire rapatrier ses compatriotes. «Mon frère m’a transmis par WhatsApp, le communiqué du gouvernement beninois.», dit-elle sans jamais affirmer si elle veut rentrer ou pas.
Aïcha poursuit : « Si je dois rentrer, le problème de mon passeport est un handicap. Et pour rentrer, une seule compagnie aérienne est encore en service à Beyrouth et le prix est très cher.».
Maty revient et enclenche avec un ton ferme à la surprise générale des collègues des questions d’avenir :« Après ces bombardements, que faut-il faire? Doit-on quitter notre refuge d’infortune? Doit-on retourner chez nos patronnes sans coeur, qui sont parties sans nous? Doit-on profiter du calme actuel pour repartir au pays pour aller chômer là-bas ?».
Aïcha, partie du Mali, Maty, du Congo RDC et Cica, du Bénin, toutes en quête d’un mieux-être, ne savent pas encore à quel saint se vouer au lendemain de la fin des bombardements.
Quel sera leur avenir au Liban?
Propos recueillis par Faouzi NABIL pour une correspondance particulière depuis Beyrouth
Site lafriqueenmarche du 27 novembre 2024 No 775