Suite au décès de la vedette béninoise de la musique, Pierre Dassabouté, j’attendais la plume d’ivoire de mon confrère Serge Matias Tomondji. Celui-ci l’a beaucoup côtoyé. Lisez ci-dessous son hommage à titre posthume.
MON DO-RÉ-MI :
HOMMAGE À PIERRE DASSABOUTÉ…
Par Serge Mathias TOMONDJI
Ouagadougou, 24 novembre 2024
Enseignant et cadre du ministère de la Culture, Pierre Dossia Dassabouté était aussi un guitariste hors pair, un excellent chanteur et un conteur pédagogue.
La disparition, le 16 novembre 2024 à Natitingou, de ce Béninois a suscité une vive émotion, notamment dans les rangs de cet artiste qui, nombreux, ont eu le plaisir de l’écouter dialoguer avec sa guitare.
Un instrument au rythme duquel il a sublimé des chansons, tantôt joyeuses, tantôt mélancoliques, avec des sonorités traditionnelles de l’Atacora, le département du nord-Bénin dont il est originaire.
Pierre Dassabouté s’en est donc allé à l’âge de 76 ans, des suites d’une maladie. Né en 1948, cette voix qui s’est fait connaître dans les années 1970 restera cependant éternelle. Et l’on écoutera sans fin, son célèbre message, le véritable discours d’adieu d’un déçu amoureux qu’il a délivré à cette Aminata qu’il a follement aimée.
Cette chanson, la plus célèbre de Pierre Dassabouté, est perlée d’épines et construite avec des mots, crus, qui viennent du cœur, sans filtre et sans diplomatie. Elle raconte une histoire réelle et porte toute la charge de la désolation et de la déception vécues.
…UN MESSAGE ESSENTIEL
L’artiste nous apprend ainsi, dans «Le Message», que «la vie
elle est pleine de farce, de gens sans honneur, de filles sans amour»! Et comme le dit si bien Alphonse de Lamartine, «un seul être vous manque et tout est dépeuplé». Pour Pierre Dassabouté, la perte de cet amour, qu’il a sans doute idéalisé, lui a certainement fait dire des mots excessifs, qui «ne se justifiaient finalement pas dans la chanson», a-t-il avoué plus tard.
Comme lorsque, rongé par le désespoir et ravagé par ce qu’il considère comme un «déshonneur», il qualifie l’amour de… «vraie foutaise»? Sans doute! On pourrait dire ici que lorsque votre univers s’écroule, vous en voulez au monde entier!
Mais le message essentiel du discours à Aminata, cette fille que… «j’ai aimée depuis notre enfance et que j’admirais tout au fond de moi», est ailleurs. Cette fille qui s’est empressée d’aller voir ailleurs, sans prendre son temps quand elle a eu ses dix-huit ans, et «sans même penser au lendemain», méritait, du point de vue de l’artiste, quelques recadrages.
Ah, Aminata, adieu! Mais sache bien que malgré tout «je t’aime encore et je t’aimerai toute ma vie»! C’est d’ailleurs pourquoi… «je prierai de tout cœur que tu changes de vie… Reste au moins à lui seul, garde bien ton honneur, sois digne de ta famille».
«UN POÈTE À L’ÂME JOYEUSE»…
Aminata a sans doute reçu «Le message» de Pierre Dassabouté cinq sur cinq. Avec sa disparition, s’éteint aussi, sans doute, un virtuose de l’art oratoire, qui savait si bien poétiser ses textes et les sublimer de sa guitare acoustique.
Dans le chapelet des hommages qui ont salué la mémoire de cet orfèvre du conte, le ministre béninois du Tourisme, de la culture et des arts a eu des mots on ne peut plus justes. «Après le départ de GG Vikey en 2013, c’est un autre poète musicien à l’âme joyeuse et aux vers inspirés qui s’en va. Pierre Dossia Dassabouté incarnait l’alliance parfaite entre la poésie et la musique, offrant au public des mélodies qui réchauffaient les cœurs et des paroles qui éveillaient les consciences», a notamment écrit Jean-Michel Abimbola, dont le témoignage est rapporté par plusieurs médias béninois.
…À L’ÉCOLE DE LA MUSIQUE
Formé entre autres au Conservatoire royal supérieur de musique de Madrid ( Espagne), Pierre Dassabouté, également conteur et dessinateur, savait en effet raconter cette Afrique qui mérite d’être connue et aimée. C’est ce qu’il fait magistralement du reste dans «Les cicatrices de l’esclavage», un titre que je vous propose dans mon do-re-mi de ce dimanche, et dans lequel, quasiment seul avec sa guitare dont les notes sont mises en valeur par le son d’un suave tambour, il se fait griot et dit le conte de la pénétration coloniale en Afrique et particulièrement au Bénin.
C’est bien connu, «le griot ne ment pas! Sa bouche exprime ce que contient sa mémoire fertile, l’histoire du peuple codé et ordonné. Écoutons-le…». Écoutons donc la voix griotte de Pierre Dassabouté, ainsi que sa guitare enchanteresse, nous instruire sur ce qu’il advint un soir… Un soir en effet, «alors qu’il vaquait à ses occupations dans la cocoteraie en bordure de la plage, un jeune de la tribu des Houéda vit arriver de la mer un château illuminé avançant au rythme lent d’un cauchemar…
Hébété et presque paralysé, il observa un moment puis, soudain, bandant ses muscles de trappeur, il fondit dans le fourré créant ainsi une piste qui restera praticable jusqu’à nos jours».
Un château illuminé, tu parles! C’était le feu des esclavagistes, ce feu redoutable dont le Noir se souviendra toujours qui débarquait ainsi sur une côte africaine. «Ils débarquèrent donc, le premier un casque sur la tête, le sourire aux lèvres, la perfidie au cœur, une bouteille d’eau de vie dans une main, de la pacotille dans l’autre et le fusil en bandoulière…
Derrière lui, venait un autre en robe blanche, une barbe fleurie d’où émergeait une grosse croix. Il était armé celui-là de bonbons et de cristaux de sel. Tous deux furent reçus par un troisième que l’histoire ne peut condamner à cause du fort alibi de l’ignorance et de la naïveté: le roi.»
L’ARRIÈRE-PETIT-FILS DE TON ARRIÈRE-GRAND-ONCLE…
Honoré de la visite de ces hommes blancs considérés comme de «véritables étrangers», le roi les reçut avec «plus de zèle et d’enthousiasme que n’en demandaient les règles de l’hospitalité», voyant là «une preuve de sa puissance et un gage certain de l’approbation tacite de son règne par les mânes des ancêtres». Alors, les étrangers sont autorisés avec dévotion à séjourner allègrement et à se promener autant qu’ils le désiraient dans le royaume! La suite, on la connaît, et Pierre Dassabouté la conte si bien, ponctuant son récit de séquences chantées dans sa langue.
Cette histoire est connue, mais mérite d’être mieux connue, afin que chaque Africain noir la vive au quotidien et que les générations futures n’oublient pas la piste indélébile que le jeune Houéda a tracée dans le fourré, lorsqu’il a vu le fameux «château illuminé» de l’Homme blanc.
Alors, Africain noir, Pierre Dassabouté t’enseigne sur l’histoire de ton peuple. «Ce peuple que la pigmentation se refuse de disloquer…
Aux Antilles, à Cuba, en Amérique, en Jamaïque, au Brésil, à Haïti… quand tu rencontreras un Noir, reconnais-y l’arrière-petit-fils de ton arrière-grand-oncle… Embrasse-le, nul doute c’est ton frère!».
Le griot a parlé, le conteur a égrené l’histoire du peuple noir et mis en exergue «Les cicatrices de l’esclavage»!
Écoutons-le et souhaitons une vie paisible à Pierre Dassabouté dans l’au-delà de ses dignes ancêtres africains…
Site lafriqueenmarche du 1er décembre 2024 No 778