Par Serge Mathias TOMONDJI
Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, abritait la cérémonie d’installation officielle de la toute première Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). C’était le 30 janvier 1995 donc, il y a 30 ans.
Témoin de cette matinée magique, j’avais rédigé un reportage sur les péripéties de ce nouveau départ. C’est ce reportage vieux de 30 ans, et publié le 31 janvier 1995 dans le N°829 du quotidien « Le Pays », que je vous propose ici, comme un repère historique…
…UEMOA: DEMAIN L’INTÉGRATION SANS COUP FÉRIR?
Ça y est! La Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a été officiellement installée hier [30 janvier 1995] à Ouagadougou, son siège. C’était en présence des présidents Henri Konan Bédié de la République de Côte d’Ivoire et Blaise Compaoré du Burkina Faso, président en exercice de la Conférence des chefs d’État de l’UEMOA.
La solennité et la majestuosité qui ont caractérisé la cérémonie rimeront-elles, enfin, avec l’intégration véritable que 60 millions d’âmes — et plus ! — appellent de tous leurs vœux?
La Cour! C’était magnifique et solennel. Une audience particulière et si impressionnante avec ces juges drapés de leurs toges rouge et noire, ces commissaires brusquement projetés au-devant de la scène, ce public pluriel qui attend, haletant, la sentence…
La sentence? Au-delà des convenances, de l’art de la justice et de la magistrature, au-delà du symbolisme de la cérémonie, il s’agissait de concrétiser un enjeu majeur en jetant les «bases d’un nouveau départ» pour 60 millions d’âmes de l’espace Uemoa qui rêvent de l’intégration véritable. Comme dirait Issouf Compaoré dans sa chanson taillée sur mesure pour l’évènement, «l’intégration, désormais, n’est plus une question de choix». Il faut «s’unir ou périr»…
Mais revenons à l’audience. Car ce fut hier, dans la salle de conférence de l’ex-CEAO [Commission économique de l’Afrique de l’Ouest], une démonstration de l’art de dire le droit, avec ses subtilités, sa discipline, ses charmes, son langage, son cérémonial… Lorsque l’audience fut ouverte et que les membres de la Commission de l’Uemoa furent invités à se présenter à la barre pour y prêter serment, l’avocat général devait prendre la parole pour dresser son réquisitoire.
LOYAUTÉ, IMPARTIALITÉ…
Il lui est donc revenu, après avoir situé l’environnement général de la cérémonie et dégagé sa profonde signification, de jauger les commissaires et de livrer à l’assistance, avec un rien de satisfaction, les portraits-robots de ceux qui seront chargés de porter sur leurs épaules la gestion du processus d’intégration. Et c’est vrai que les présentations expresses, mais conséquentes, qui ont été faites des commissaires sont flatteuses.
Après ces réquisitions, les membres de la Commission de l’Uemoa ont levé la main droite et juré, devant la Cour de justice de l’Union présidée par le Béninois Yves Yèhouessi, les chefs d’État ivoirien et burkinabè, l’assistance et les dizaines d’objectifs et d’organes de presse… loyauté, impartialité, indépendance, honnêteté dans l’accomplissement des tâches qui leur sont désormais confiées.
Ensuite, le président Yves Yèhouessi a, au nom de la Cour de justice de l’Uemoa, donné acte aux commissaires de leur serment. Il a aussi donné acte à l’avocat général de ses réquisitions. Sur ces entrefaites, la Cour a renvoyé les commissaires à l’exercice de leurs fonctions. Quant à son président, il a saisi cette opportunité pour s’adresser aux membres de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine.
«Les sillons sont plus faciles à tracer, même dans les sols arides, lorsque s’annoncent les premières pluies pour féconder les germes.».
En énonçant cette vérité de La Palice, M. Yèhouessi veut-il indiquer qu’il est temps de creuser les sillons de l’intégration sur le sol désespérément aride des États de l’Ouest africain? Veut-il noter que l’heure est enfin venue de mettre en terre, sans arrière-pensée ni scepticisme, les graines du regroupement et de la libre circulation?
…AU-DELÀ DES PHRASES ET DES MOTS
En fait, M. Yèhouessi voudrait amener chaque citoyen de l’Uemoa à répondre avec optimisme à cette angoissante question: «L’Uemoa pourrait-elle réussir là où, avant elle, d’autres organismes ont échoué?» Certes, il reste encore beaucoup à faire pour céder, sans coup férir, à cet optimisme qui, pourtant, devrait baliser les chemins vers notre indépendance et notre survie collective. Car, ainsi que l’a reconnu le président de la Cour de justice lui-même, «c’est jour après jour, grâce au soutien de tous, que se construira l’Uemoa».
Mais alors, comment «utiliser nos divergences et nos diversités pour construire (effectivement) nos convergences et notre unité»? Là réside toute la question. C’est aussi toute la problématique des échecs successifs des tentatives antérieures de regroupements et d’intégration réelle.
Pourtant, s’il faut croire Charles Konan Benny, gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), la construction actuelle de l’intégration ouest-africaine «cherche à capitaliser les leçons de l’histoire». Elle s’ébauche ainsi par une «approche itérative et pragmatique». Cette approche devrait alors favoriser la concrétisation du vieux rêve de l’abolition effective de toutes les entraves à la circulation, l’établissement et la prestation des personnes.
C’est pourquoi les commissaires de l’Uemoa installés hier sont, selon les mots du président Blaise Compaoré, «les pionniers d’une intégration condamnée à réussir, parce qu’elle doit mettre un terme au scepticisme né des résultats fort mitigés obtenus jusqu’ici en matière d’intégration économique en Afrique et dans notre sous-région en particulier».
Malheureusement, «l’histoire récente ne semble pas rassurer» les populations de l’Uemoa qui attendent encore, au-delà des phrases et des mots, mieux que les discours et les déclarations d’intention, mieux que les cérémonies d’installation… de pouvoir aller et venir librement de Ouagadougou à Dakar, en passant par Cotonou, Niamey, Bamako, Lomé et Abidjan.
Hormis cette réalité tangible, qui reste toujours un vœu pieu pour les 60 millions d’Ouest-Africains en proie aux valses des législations de nos États, on chercherait encore longtemps, comme le philosophe, l’intégration véritable en plein jour, une lanterne à la main. Les honorables commissaires, installés avec la majestuosité qui sied, oseraient-ils nous ramener à cette extrémité?
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⏹️ LE SERMENT DU COMMISSAIRE DE L’UEMOA
«Moi…, jure, conformément au traité instituant l’Uemoa, de bien et fidèlement remplir mon mandat de commissaire de l’Uemoa en toute loyauté et impartialité, en observant les obligations d’indépendance et d’honnêteté de ma charge ; de garder le secret des délibérations et des votes et de me conduire, en tout, en digne et loyal commissaire de l’Uemoa dans l’intérêt général de l’Union.»
⏹️ LES PREMIERS COMMISSAIRES
▶️ Burkina : Justin Damo Barro
▶️ Côte d’Ivoire : Kalou Doua Bi
▶️ Mali : Younoussi Traoré
▶️ Niger : Laouali Baraou
▶️ Sénégal : Ousmane Seck
▶️ Togo : Yaovi Prosper Adodo
NB : Le commissaire du Bénin n’était alors pas encore désigné. Mais c’est Bertin Borna, président de la commission Finances à l’Assemblée nationale de son pays, qui occupera le poste quelques temps après.
Source (in Le Pays N°829 du mardi 31 janvier 1995)
Site lafriqueenmarche du 3 février 2025 No 825